Commençons cette histoire avec un peu de généalogie...
Émile Charles Nicolas GRASSOT est né le 24 juillet 1867 à Noroy-les-Jussey, dans le département de la Haute-Saône.
Fils d'horloger devenu paysan, il fera des études scientifiques et deviendra Directeur de travaux à l'école de physique et de chimie de Paris, il finira ingénieur à la compagnie de Compteurs
(actuelle Schlumberger).
(Le laboratoire des compteurs électriques de l'usine de la Compagnie des Compteurs vers 1908)
On lui doit notamment le Fluxmètre-Grassot :
On lui doit notamment le Fluxmètre-Grassot :
(Fluxmètre système Grassot - 1925 - 23 cm - Associé à une bobine, permet de mesurer des champs magnétiques d’induction)
Il se marie à Verdun (55) le 23 septembre 1905 avec Emma DOUAIRET (1879/1960), fille de Pierre, négociant en confection et d'Ernestine Célestine DEFRANCE.
Il se marie à Verdun (55) le 23 septembre 1905 avec Emma DOUAIRET (1879/1960), fille de Pierre, négociant en confection et d'Ernestine Célestine DEFRANCE.
Ils auront deux fils, Pierre en 1906 et Jacques en 1907.
(Jacques et Pierre)
Arrive 1914 et la Grande Guerre....
Émile est trop âgé, ses fils sont trop jeunes.
L'armistice est signé le 11 novembre 1918.
...Nous voici en été 1919, l'école est finie, la guerre aussi. Mais les blessures sont encore fraiches.
Le premier récit de Jacques ( Fêtes de la Victoire) décrit le voyage du père Émile et de ses deux garçons à Paris pour le premier défilé du 14 juillet 1919 célébrant la fête nationale mais aussi la paix revenue.
Le second est plus poignant; nous sommes en août 1919, les trois hommes vont découvrir Reims, Suippes, Perthes-les-Hurlus, Massiges, Sainte-Menehould puis Verdun, Douaumont, Saint-Mihiel, Limey, Pont-à-Mousson, Pagny-sur-Moselle, Jouy-aux-Arches...en train et en vélo.
Ils habitent Meudon.
Émile est féru de photographie, celles qui sont utilisées pour illustrer le périple dans les "régions dévastées" sont les siennes.
Le texte est livré identique au manuscrit, le style gagnant sur l'orthographe (NdR)
Émile est trop âgé, ses fils sont trop jeunes.
L'armistice est signé le 11 novembre 1918.
...Nous voici en été 1919, l'école est finie, la guerre aussi. Mais les blessures sont encore fraiches.
Le premier récit de Jacques ( Fêtes de la Victoire) décrit le voyage du père Émile et de ses deux garçons à Paris pour le premier défilé du 14 juillet 1919 célébrant la fête nationale mais aussi la paix revenue.
Le second est plus poignant; nous sommes en août 1919, les trois hommes vont découvrir Reims, Suippes, Perthes-les-Hurlus, Massiges, Sainte-Menehould puis Verdun, Douaumont, Saint-Mihiel, Limey, Pont-à-Mousson, Pagny-sur-Moselle, Jouy-aux-Arches...en train et en vélo.
Ils habitent Meudon.
Émile est féru de photographie, celles qui sont utilisées pour illustrer le périple dans les "régions dévastées" sont les siennes.
Le texte est livré identique au manuscrit, le style gagnant sur l'orthographe (NdR)
Les Fêtes de la Victoire et Voyage aux régions dévastées
Par Jacques GRASSOT, 12 ans et demi.
1) Les Fêtes de la Victoire
"Malheureusement, les fêtes de la Victoire sont déjà passées, il m'en restera toujours un bon souvenir.
La veille, le 13 juillet, Papa commença à nous dire de nous préparer et nous fit chercher des planches pour faire des sortes de balançoires qui attachées à un arbre sur lesquelles nous monterions et qui nous surhausseraient.
Pendant qu'on les faisait, on voyait les fusées filant et éclairant le ciel, ce qui nous impatientait de sortir.
Le lendemain matin, nous partîme de bonne heure.
Malgré le monde qu'il y avait dans tous les trains, nous arrivons avenue des Champs-Elysées.
Il y avait au moins douze rangs de personnes, même sur les arbres on voyait des grappes humaines, tout ce monde attendait impatient depuis peut-être 1 heure du matin.
Il y avait des gens qui étaient venus y passer la nuit.
Le 1er rang d'arbres étant au milieu de la foule, nous ne pûmes donc pas installer nos balançoires, comme il y avait déjà des échafaudages au 4e rang, il nous était difficile d'arriver au 2e.
Alors Papa nous quitta en nous donnant rendez-vous après la revue à la station "Chambre des députés".
Nous nous faufilons sous les échafaudages consistant en voitures, charrettes, planches posées sur des tréteaux, échelles, etc, et nous arrivons jusqu'au 2e rang malgré quelques gens qui ronchonnaient.
Papa, certain de ne voir que les ballonnets des fusils, s'étendit sur l'herbe en lisant son journal.
Nous attendons une heure sans voir aucun régiment, quand tout à coup, un canon commença à tirer des salves en l'honneur du départ du défilé, un moment après, nous entendons de la musique au loin et nous voyons venir sur 2 lignes les gardes républicains ayant à leur suite mille mutilés, puis nos 2 Maréchaux Joffre et Foch (en gras dans le texte), sérieux et fiers des ovations de la foule, car c'était pour eux le jour de triomphe bien mérité.
Les maréchaux avaient avec eux leur état-major.
Ensuite venait le général Pershing aimable en tête de ses troupes dont les soldats sont sérieux et si bien alignés même leurs baïonnettes.
Puis viennent toutes les délégations de soldats des pays alliés avec leurs drapeaux (Belgique, Angleterre, Italie, Japon, Grèce, Pologne, Roumanie, Portugal, Serbie, Siam, Tchéco-slovaquie).
Maintenant, venaient nos glorieux "Poilus" dirigés par le maréchal Pétain du 1e au 21e corps dont les nombreux drapeaux sont souvent déchirés, chaque corps avait sa musique.
Puis venaient les troupes coloniales, l'armée d'Orient, l'armée d'Occupation, l'armée d'Afrique.
Puis les marins, une batterie du "glorieux 75" et une de 155.
Puis la cavalerie, les auto-canons, les autos mitrailleuses, le défilé par nos petits chars d'assaut ou "tanks" dont le capot ouvert laissait dépasser l'un des 2 soldats qui le dirigent.
Derrière, on vit passer en auto Mr Poincaré et Mr Clémenceau qui furent aussi acclamés.
Nous sommes revenus bien contents d'avoir vu Joffre et Foch en personnes, que je n'avais pas vu autrement que sur des images.
Encore le soir, après le dîner, nous sommes partis voir les feux d'artifices, l'embrasement des berges de la Seine.
Arrivés à Paris, nous avons été à l'hôtel de ville très bien illuminé devant lequel il y avait 2 bals également illuminés, nous sommes revenus pour aller voir les magasins, et sur notre chemin, des fusées et des feux de Bengale s'allumaient.
Nous vîmes la Samaritaine illuminée avec des banderoles de lampes électriques aux couleurs françaises.
Puis au Louvre dont la façade est très magnifiquement éclairée avec un coq terrassant un aigle.
On vit passer la retraite au flambeau avec des pancartes illuminées, puis nous avons été sur les bords de la Seine d'où l'on voyait les fusées se divisant en plusieurs branches dont quelques-unes étaient très belles, puis les feux de Bengale et l'embrasement de la tour-Eiffel du Trocadéro."
___
(Le soldat allemand : " kamarade ! kamarade !" - Le soldat français : " en avant, à la charge ")
"Nous sommes partis de Paris par le train le mercredi 13 (août NdR) et nous sommes arrivés à Reims à 13 heures.
Nous avons trouvé un hôtel et nous avons visité la ville en passant par la place (...) dont toutes les maisons sont complètement démolies.
Papa a photographié la cathédrale d'un amas de décombres.
Ensuite, nous avons été voir la cathédrale de près, chaque statue a reçu un ou plusieurs éclats.
Puis nous avons visité l'intérieur avec un groupe de personnes et le guide qui nous conduisait nous conseillé de ne pas toucher les murs qui ont été grillés par l'incendie et qui s'effritent au moindre choc; il nous a dit qu'un seul obus avait pu pénétrer à l'intérieur, mais sans éclater (il est du reste exposé avec des éclats d'obus dans l'église).
Nous avons vu tous les vitraux, mais la grande rosace est intacte grâce à un mur de briques qui la protégeait. Il y en a une autre qui a été sauvée parce qu'on avait mis du cartons et on peut voir encore le carton brûlé qui pend.
Puis nous sommes revenus à la gare chercher nos vélos et nous avons été nous promener dans la direction du fort de la Pompelle. Mais comme il n'y avait rien d'intéressant et qu'il était près de midi, nous n'avons été que jusqu'à un jardin botanique dont l'immeuble était très abimé parce qu'il dominait toute la vallée et qu'il avait dû servir d'observatoire.
Puis nous sommes revenus dans Reims.
Nous avons vu les casernes qui avaient reçus des quantités d'obus et on voyait des soldats au fenêtres. Je me demande comment l'intérieur pouvait être habitable par rapport à l'extérieur.
On voit encore dans Reims des convois de prisonniers allemands qui travaillent à déblayer les maisons et les trottoirs des matériaux de constructions qui les encombrent.
Nous revenons à l'hôtel, et pendant le repas, un prêtre nous a racontés des histoires des pays dévastés où il était passé.
Puis la patronne voyant que l'on s'ennuyait, nous appela et nous dit d'aller voir le cinéma gratuit des américains installé sur la place.
On nous y a conduit, c'était un baraquement en bois bien installé, il y avait des bancs en planches, et encore assez de monde.
Quoique arrivés un peu en retard, nous avons quand même vu un roman de Monte-Carlo et 2 comiques, puis nous sommes revenus à l'hôtel à 9 heures au lieu de 7 heures, ce qui n'empêche que le lendemain, nous nous sommes quand même levés à 5 h.
Après avoir attendu 1 heure que les réservoirs soient ouverts pour remplir la gourde et aller chercher du pain, nous sommes partis par le même chemin que la veille, et nous avons été rattrapés par un ouvrier aussi en vélo qui nous a parlé de la bataille aux divers endroits que nous traversions.
Après avoir quitté l'ouvrier, nous voyons dans un champ à 500 mètres de la route un tank.
Nous laissons nos vélos derrière le talus de la route et nous allons le voir de près. C'était un tank boche sur lequel étaient des inscriptions à la craie des personnes qui étaient venues le voir. Il s'appelait "..."
Nous y sommes rentrés et nous avons vu les machines toutes tordues encore pleines d'huile, au dessus et au milieu était le poste du conducteur qui se tenait dans la tourelle, à l'avant était le canonnier dont il restait encore le petit canon, sur les côtés, il y avait les places des mitrailleuses.
À deux pas du tank, il y avait une capote boche passée qui avait du appartenir à un soldat du tank, à l'arrière, il restait encore des cordages.
Papa a pris une photo du tank qui est d'ailleurs très bien réussie.
Nous sommes revenus sur la route en évitant bien de s'écarter du chemin car l'ouvrier nous avait raconté qu'une voiture était passé dans le champ et avait sauté en heurtant une grenade.
Puis nous avons été au fort de la Pompelle boulversé de toutes parts, dont nous avons fait le tour.
Nous avons vu les remparts écroulés, des tombes, des meurtrière de mitrailleuses, des fils de fer, des rails tordus, des obus non éclatés, etc... Tout cela dans un chaos.
Puis, nous redescendons du fort et en cours de route, nous avons vu encore un tank échoué, le nez en l'air dans une tranchée.
Puis nous passons à Beaumont-sur Vesle qui avait été pris, repris, pris, etc... et naturellement très démoli.
Puis nous passons à midi à Prosnes où il ne reste plus que des pans de murs et dont l'église n'a plus que le portail. Il ne peut donc pas avoir de restaurant à cet endroit.
Alors, nous continuons un peu et nous arrêtons pour nous reposer et nous rafraîchir dans une cagna, justement nous voyons un camp de prisonniers allemands, nous entrons et nous demandons aux gardiens qui mangeaient dans leurs baraquement de nous prêter une table. Ils acceptent et nous apprécions fort nos provisions, installés à une table avec d'autres soldats.
Cette baraque tout en bois m'a frappé. Aux murs étaient accrochés les habillements, des dessins et des images; tout autour étaient rangés les lits des gardiens composés simplement de cadres en planches sur lequel était posé un grillage. Il ne manquait pas de couvertures.
Au milieu de la baraque, il y avait une grande table et des bancs (tout cela très sommaire) où mangeaient et causaient la plupart des soldats. Nous étions à une petite table sur le côté.
Nous mangeâmes de bon appétit et j'ai eu là un aperçu de la vie de caserne.
Après avoir pris bière et café, nous remplîmes notre gourde et nous voilà repartis.
Par grande chaleur, nous gravissons le mont Cornillet d'après la route indiqués par les soldats. En cours de route, il a fallu nous arrêter au frais dans des cagnas où il restait quelques meubles. Puis nous remontions avec plus de courage.
En haut du mont, on voit tout le terrain devenu blanc par les obus.
On voit encore des cadavres de chevaux et des masses d'obus non éclatés.
Comme il y a encore des artificiers dans chaque camp, ils en font éclater. Veux qu'ils ne voient pas sont dangereux car ils éclatent tout seuls et n'importe quand, ils sont exposés au soleil.
Nous vîmes sur le bord de la route des bandes de mitrailleuses pleines de balles intactes dans une vingtaine de caisses sur un tout petit espace. On aurait bien voulu en emporter mais ce n'était pas là notre bit et cela nous aurait embarrassé.
Puis nous nous sommes égarés au Mont sans-nom où tous les arbres étaient coupés ras.
Il y avait sur le bord de la route des cercueils neufs qui devaient servir plus loin pour un cimetière que l'on refaisait, c'est à dire que l'on rassemblait toutes les tombes disséminées aux alentours.
Plus loin, sur une longueur d'environ 100 mètres, la route était refaite en planches, il devait y avoir eu des tranchées qui la traversaient et des trous d'obus.
Enfin, nous retrouvons notre chemin en ayant parcouru au moins 3 kilomètres en trop.
Un peu plus loin que l'auberge de l'espérance, le pneu de Papa a eu une crevaison, et constata que la chambre à air était en mauvais état. Il l'a arrangé et constata que ça ne tenait pas, c'était le trou qui s'était changé en fente qui avait dépassé la pièce.
Après l'avoir réparée une seconde fois, nous repartons et le pneu se dégonflait lentement.
Nous arrivons à Suippes à 9 heures en donnant des coups de pompe pour pouvoir continuer tous les kilomètres.
Nous nous trouvons tout de suite un hôtel qui fait une maison parce que l'ancien hôtel avait été détruit.
Nous avons diné dans une remise où étaient installées des tables, la salle à manger était en réparation.
Puis on nous montra notre chambre, nous nous couchons et le lendemain, nous nous sommes levés à 6 heures pour changer la chambre à air et autres pièces qu'il manquait; pendant qu'il arrangeait, nous avons été à la poste écrire des lettres.
Nous repartons et dans la direction de Perthes-les-Hurlus, en passant à Mesnil-les-Hurlus, un autre pneu crève à cause de la mauvaise enveloppe.
Nous arrivons à une colline devant Massiges où il y avait des quantités de baraquements dont la plupart étaient écroulés et quelques uns étaient en ciment armé où l'on trouvait même des cabines de douches.
Nous continuons et entrons dans le village de Massiges où nous vîmes une cloche au pied de l'église, cassée curieusement en cercle et le bas était séparé.
À midi, nous étions à Ville-sur-Tourbe où nous avons mangé dans un café en bois. Pendant le repas, il arriva des soldats à la table voisine qui s'amusèrent à déboucher des grenades pour montrer à d'autres touristes. Et il était encore assis qu'il en amorça une et doucement alla à la porte et la lança dans un champ en face, et elle éclata, c'était très dangereux parce qu'il y aurait pu il y avoir quelqu'un dans le champ et il aurait pu s'embarrasser dans son banc et pendant ce temps l'engin aurait explosé.
Mais le patron en entendant le bruit lui dit de s'arrêter, parce qu'il y avait du danger.
Puis nous repartons à 2 heures en pleine chaleur et passons à Berzieux.
Il y avait une petite descente et des pommiers chargés de fruits. Nous nous sommes arrêtés en bas, près d'une petite rivière, et nous avons rempli nos poches de pommes.
Nous étant bien reposés, nous sommes repartis en nous éloignant du front pour aller à Sainte-Menehould.
Un peu avant la ville, nous trouvons au pied des arbres de la route des petites cerises sèches, très bonnes et qui avaient un goût de pruneaux.
Arrivés à la ville, l'hôtel était plein. Nous allons nous installer dans l'annexe qui était chez un particulier.
Nous nous apercevons qu'il arrivait encore du monde après nous et il y avait des personnes qui ne trouvaient pas à se loger surtout que c'était un jour de fête.
Nous faisons un tour dans la ville, nous cherchons une enveloppe pour le vélo, mais il n'y en avait pas de la bonne dimension. Nous fûmes forcés d'en prendre une plus petite qui a été difficile à mettre.
Ensuite, nous avons diné à l'hôtel.
À un moment du repas, arrivent deux chauffeurs qui connaissaient bien les environs. Ils nous ont indiqué un hôtel à Verdun.
Après le diner, nous avons passé la soirée dans la cour de la maison où nous couchions.
Papa a causé avec le propriétaire qui nous a raconté que la ville avait été visée, mais sans succès : un jour de la grande offensive, il était tombé 18.000 obus, les allemands devaient épuiser leurs dernières munitions. Heureusement, presque tous les obus sont tombé aux alentours.
Le lendemain, nous sommes allés vers le four de Paris où il ne reste plus qu'un petit cimetière.
Nous avons remonté dans le bois de la Gruerie où nous avons vu un cimetière allemand très bien installé, entouré d'un mur et dont les noms étaient gravés sur les croix. Nous avons remarqué que c'était de 1914, au milieu, il y avait un monument aux morts.
Nous avons déjeuné à Varennes, dans un restaurant en bois où il y avait un soldat qui était à moitié fou. Il y avait aussi un touriste qui venait de Sainte-Menehould et qui allait à Verdun. Il nous a raconté son voyage.
Puis nous avons été jusqu'au pied de la montagne en haut de laquelle s'élevait le village de Vauquois.
Nous avons déposé nos vélos et nous montons à pied par un sentier qui avait une rampe en barres de fer qui était en partie effondrée. De là, nous voyons les flancs de la éboulée par les mines et où on voyait encore les gros blocs de terre qui avaient roulés sur la pente.
Enfin, nous arrivons en haut, au milieu des décombres.
Nous eûmes la surprise de voir toute une rangée d'entonnoirs de mines de 20 à 30 mètres et surement il y avait du avoir plusieurs compagnies d'enterrés vivantes. Dire qu'à cette place, il y avait un village et il n'en reste plus qu'un trou de 30 mètres de profondeur.
Papa a pris des photographies, puis nous avons vu venir des touristes qui étaient au restaurant à Varennes.
Après, nous avons voulu faire le tour de ces entonnoirs, mais c'était difficile et nous n'avons pas pu, car dès qu'on quittait le chemin, on se trouvait devant un réseau de fils de fer barbelés, impossible de franchir.
En redescendant, nous avons vu des abris bétonnés pour mitrailleuses qui paraissaient grands du dehors, mais dès qu'on y entrait, il ne restait plus qu'un tout petit réduit parce que les murs avaient 40 cm d'épaisseur et où il n'y avait de la place que pour deux personnes.
Plus bas, nous voyons les galeries de mines aux flancs de la montagne que nous ne pûmes pas visiter parce que nous n'avions pas notre bougie.
Nous avons aussi remarqué de sapes éventrées par un obus dont le trou était profond.
En bas, il passait une petite voie de chemin de fer toute tordue par les obus et qui devait servir à transporter les vivres, les munitions et les matériaux de construction.
Nous redescendons à la route prendre nos vélos et nous attendons que les touristes qui s'étaient joints à nous aillent chercher les leurs, puis nous repartons ensemble.
Mais à peine avions-nous fait un kilomètre qu'un pneu d'un touriste crève et nous les laissons réparer.
Un peu plus loin, nous arrivons à deux routes, l'une allant à Aubréville et l'autre à Avocourt (de là, on voit bien la montagne de Vauquois fendue au sommet par les mines).
Comme il nous restait encore du temps, nous avons été voir Avocourt qui est complètement anéanti, il y avait une source à laquelle nous avons rempli notre gourde.
Puis nous sommes revenus à la gare d'Aubréville où il y avait au moins dix "tanks" abîmés qu'on avait ramené du front et dont toutes les pièces qui pouvaient encore servir étaient enlevées. On voyait à presque tous un trou dans le moteur et sur le sol de quelques uns des restes de cartouches explosées. Il devait y avoir eu le feu et l'explosion avait dû tuer les soldats qui le conduisaient.
Nous allons sur le quai de la gare et pendant les 2 heures d'attente, nous voyons les touristes qui étaient avec nous. Ils étaient arrivés avant nous et avaient trouvé une chambre.
Puis nous prenons le train qui n'était pas éclairé, ce qui nous gênait pour s'installer au repas.
Enfin, nous arrivons à Verdun, mais à 10 heures au lieu de 7h, mais tous les hôtels étaient pleins.
Nous aurions couché dehors si Papa n'avait pas demandé à un sergent de ville où se trouvait un hôtel tenu par une dame que nous connaissions. Il nous indiqua le chemin, mais en arrivant, tout était pris et elle nous logea chez un menuisier à côté, dont la maison était assez détruite, même le plafond de notre chambre était en toile goudronnée.
Puis nous avons mangé quelques provisions.
Nous avons entendu venir des autres personnes dans la chambre à côté.
Le lendemain, nous avons visité la ville et nous avons été voir l'ancienne maison où Maman habitait. Elle est intacte.
Nous sommes passés par la rue Mazel qui est presque anéantie, puis à la citadelle.
Nous avons suivi des touristes qui allaient à l'intérieur, ils nous ont invité à les suivre. Nous avons vu toutes les galeries où il fait très froid, où les poilus ne risquaient rien avec 30 mètres de terre au dessus d'eux.
Nous sommes passés à la boulangerie où l'on entendait chanter les cris-cris, il y avait les grands fours alignés qui peuvent cuire 200 pains en une fois. À côté, était un pétrin mécanique et tous les casiers à pain où il y avait au moins 1.000 pains.
Plus loin, il fallu allumer une bougie, nous arrivons à l'infirmerie, le cinéma pour distraire les soldats pendant la guerre.
Nous n'avons vu que 4 galeries et il y en a 11 en tout.
Nous sortons tout éblouis, nous remercions nos compagnons et nous allons à la gare prendre nos vélos. Nous revenons diner à l'hôtel.
L'après-midi, nous avons été voir les environs de Verdun : nous sommes allés du côté de la côte du Poivre où nous avons vu, installés au pied d'une ancienne carrière, une infirmerie contre les gaz où il y avait encore des tonneaux de sel.
Non loin de l'infirmerie, nous avons vu un éclat d'obus de 78 centimètres de long sur 20 de large qui devait venir d'un obus de 380 ou de 420.
Ensuite, nous sommes montés vers Douaumont.
Sur le bord de la route, il y avait des emplacements de batterie.
Nous voyons aussi passer beaucoup de voitures emmenant des gens sur les champs de bataille pour chercher les tombes des soldats de leur famille.
En montant davantage sur la route, il y avait des véhicules arrêtés sur le bord et en dehors, des groupes de personnes qui regardaient devant eux.
Nous avons vu en nous rapprochant, une grande croix entourée d'une petite palissade, cela formait un petit monument en bois élevé à la mémoire des morts de Douaumont.
Sur un des flancs de la pyramide tronquée servant de piédestal de la croix était inscrites les 2 phrase historiques : "On les aura !" et "On les a eu !".
De chaque côté du piédestal étaient exposés les ossements retrouvés après la bataille sur le terrain, des fusils cassés et des bouquets de bleuets, marguerites et coquelicots fanés.
Puis, derrière le monument, il y avait un petit bout de terrain tout bouleversé entouré de fils de fer, nous nous sommes avancés et nous avons su que c'était une tranchée surnommée " la tranchée des baïonnettes" parce qu'on voyait dépasser de terre des canons de fusils.
Il était tombé à un moment une rafale d'obus qui en projetant de la terre en éclatant, avaient comblé la tranchée et engloutissant des hommes.
Au premier plan, on voyait une tombe avec un casque au bout d'un fusil enfoncé en terre.
Nous continuons la route jusqu'à une petite place où était le village de Douaumont.
Puis nous prenons un petit sentier ondulé qui menait au fort de Douaumont, chemin très difficile à parcourir avec nos vélos en main, surtout pour le passage des tranchées parce qu'il n'y avait qu'une étroite passerelle.
On voyait sur les bords du sentier des trous d'obus et quelquefois une tombe sur laquelle est soit une pelle, soit un casque pour mieux préciser la fonction du soldat, que par une bouteille dans laquelle y avait le nom du soldat, et la croix était souvent cassée.
Nous rejoignons un autre chemin qu'on réparait pour le transformer sans doute en route.
Enfin nous voyons le drapeau du fort, nous suivons une petite voie qui y menait, puis nous arrivons aux murs du forts qui venaient d'être réparés "en cas où les allemands attaqueraient de nouveau, mais juste là, la signature de l'armistice arriva, et on dirait qu'il a été arrangé pour les touristes".
Nous montons des escaliers sur les côtés desquels il y avait des tourelles de mitrailleuses.
Enfin, nous arrivons en haut, à côté d'une tourelle en acier armée d'un canon et qui pouvait tourner, se lever, se baisser à volonté. Elle était placée dans un creux en ciment armé; pour qu'un obus l'éventre, il fallait qu'il tombe verticalement, donc il faut un obusier, mais c'est difficile de viser avec, et on ne voit à la surface que des éraflures sans un trou.
Nous avons continué notre chemin sur le fort parmi les entonnoirs, et on voyait souvent des obus de 155 non-éclatés, puis encore plusieurs tourelles pour mitrailleuses dont une était renversée et l'autre en ciment armé.
Après avoir pris de nombreuses photos, nous sommes redescendus à Verdun en passant par le fort de Souville, nous y sommes montés et nous avons ri du nom de la baraque des gardiens écrit en blanc : "Villa du toto qui tousse".
Non loin de là, il y avait une grosse tourelle comme à Douaumont, mais comme il n'y avait rien d'intéressant, nous n'avons pas continué.
Chez nous, il y avait eu de grandes discussions entre grand-père et papa sur la prise du fort de Souville.
Papa demanda à un gardien si le fort avait été pris par les allemands, on lui répondit que oui, pendant 2 jours, mais ceux qui y sont rentrés n'en sont pas ressortis.
Nous sommes revenus à Verdun par Belleville, avons déjeuné à l'hôtel et après le repas, la patronne nous a offert du champagne.
Nous avons eu des bonjours à présenter à grand-père, des gens de la famille qui le connaissaient.
Nous causons, ils nous souhaitent une bonne chance pour le lendemain et nous allons nous coucher.
Nous sommes repartis le lendemain à 5 heures pour prendre le traine Saint-Mihiel à 5h55.
Après environ une heure de voyage, nous arrivons à la ville.
Nous allons voir un faubourg à côté dont les maisons avaient toutes sauté lorsque les Français sont arrivés.
Puis nous avons été voir à l'église le sépulcre de Jésus Christ, bas-relief sculpté dans du rocher de Saint-Mihiel.
Nous avons remarqué le pont sur la Meuse qui est coupé et que l'on a ni réparé, ni même barré. Donc une auto qui ne le connaîtrait pas pourrait s'y engager et tomber à l'eau.
Nous redescendons encore jusqu'à Apremont, où nous avons vu des prisonniers allemands qui construisaient des maisons, sans qu'il y eut quelque chose d'intéressant.
À partir d'ici, nous avons été en plaine pendant 5 km. Sur le bord de la route, il y avait des rouleaux de fils de fer barbelés qui rouillaient sur place.
Nous arrivons à Bouconville où il y avait un grand étang, mais nous n'y avons pas vu de poissons.
Nous avons continué, et avant d'arriver à Rambucourt, la route montait, nous avons traversé une voie de chemin de fer sur laquelle arrivait un petit train transportant des poutres de construction dans un village voisin.
Nous arrivons au village où les caves des maisons étaient transformées en abris avec du ciment et des poutres de fer.
Nous nous sommes reposés près d'un puits, nous convenons que nous mangerons à Flirey.
Nous repartons et après au moins une heure de chemin, nous apercevons un pont en fer sur lequel avait été posée une voie pour transporter de la terre d'un côté à l'autre de la vallée, il était sauté à l'endroit où l'armature de fer rejoignait un pilier, ce qu'il l'avait fait redescendre, il avait été plié par son poids à l'endroit où il passait sur le dessus du pilier.
À côté de ce pont, il y avait une baraque en planches où mangeaient plusieurs ouvriers.
Non loin de là, nous voyons un café, nous y allons nous installer à une table à l'ombre et à l'air en demandant de la bière et de la limonade.
Nous mangeons nos provisions, nous demandons où il y avait de l'eau potable - il faut aller en bas du village.
Nous arrivons à la place de l'église toute ruinée comme tout le reste.
Nous voyons dans un creux des allemands sui prennent de l'eau à la fontaine adossée à leurs baraquements. Nous allons y remplir notre gourde.
Nous repartons à pied car la route montait. Ensuite, nous arrivons au village de Limey, nous redescendons, et au moment où ça allait remonter, nous voyons de la route dans un renfoncement, un cimetière avec un monument.
Nous allons voir ce cimetière bien entretenu, puis nous nous approchons du monument sur lequel il y avait deux grosses palmes d'argent qui se croisaient avec l'inscription : "Aux défenseurs de Limey".
Nous remontons et en haut, nous voyons des prisonniers allemands qui faisaient éclater des obus.
Plus loin, il y avait 2 routes, nous demandons notre chemin à un vieillard qui rebouchait une tranchée, et une heure après, nous arrivons à Pont-à-Mousson qui n'est presque pas abimée.
Nous sommes entrés à un café nous rafraichir. Nous avons été voir le pont sauté et refait en bois et nous sommes revenus à la gare tranquillement prendre notre train.
Nous sommes descendus à Pagny-sur-Moselle très détruite et on remarque que les allemands y ont agrandi une voie de tramway pour porter des munitions.
Nous passons à Arnaville où était l'ancienne frontière. On y voit encore sur le bord de la route les socles des poteaux frontières et les emplacements de la douane.
Ensuite, ce fut Corny. De là, on voyait le clocher de Jouy-aux-Arches, mais comme la route est toute droite, je le croyais à 1 km tandis qu'il l'était à 3 km.
Nous entrons dans le village, puis à la maison de notre tante où l'on revit Maman qui était partie par le train, à ses appels, notre tante accourut en nous embrassant pour les 5 ans de séparation."
Terminée le 28 novembre 1919 à Meudon, 5 avenue Scribe.
Pour conclure ce billet, je dirais que ces pérégrinations faites et le récit rapporté par ces deux frères de 12 et 13 ans sont d'une incroyable richesse. Le discours et les explications paternelles se font parfois sentir, mais l'esprit curieux est remarquable chez ces jeunes gens. Le souci de rédiger pour bien se faire comprendre est un des traits de l'enseignement de ce début de XXème siècle. Les dessins sont remarquables.
Pouvoir illustrer l'épopée ainsi avec des clichés du Papa in situ est un formidable cadeau.
J'ai pris beaucoup de plaisir et ressenti moult émotions à la rédaction de ce billet.
Texte intégral transcrit et photos avec l'aimable autorisation des ayants droits.
photos premier texte Gallica, Delcampe,
pour la Compagnie des Compteurs : http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/31810/C&T_1987_17_20.pdf?sequence=1,
pour le fluxmètre Grassot : http://esconce2014.estelenerg.org/10-les-outils-du-controle-electrique/9-7-frequencemetres-divers/
pour l'armistice : http://entre-bretagne-et-roussillon.eklablog.com/l-armistice-du-11-novembre-1918-les-chansons-de-la-guerre-a113103584?noajax&mobile=1
Merci pour ce trésor ! ...
RépondreSupprimerCe récit est passionnant ! Merci pour le partage !
RépondreSupprimerElise
Pour ceux qui, 90 ans plus tard, ont suivi le même itinéraire, vu les mêmes endroits, visité les mêmes sites avec une enfant du même age que ces deux jeunes garçons, c'est un texte passionnant à lire, et les photos apportent encore un plus. Merci;
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