jeudi 4 janvier 2018

Mémoires généalogiques de ma grand-mère : chapitre 3


Résumé des chapitres précédents : ma grand-mère Huguette BAUDINET (1923-2015) a décidé il y a 15 ans de raconter la vie de ses aïeules. 
Après l'histoire de son arrière grand-mère maternelle Manthélasie (chapitre 1) et celle de Maria Germaine BOCQUET (chapitre 2), sa grand-mère maternelle,  nous allons aujourd'hui découvrir le parcours de sa grand-mère paternelle : Berthe Léonie TOUPET.






Grand'mère Berthe

"Berthe Léonie TOUPET, née le 7 décembre 1868 à Charleville (08), décédée le 19 février 1950 dans la même ville, fille de Charles Adolphe TOUPET et de Joséphine Octavie HUBERT.




Lorsque Berthe vint au monde, sa soeur Marie Philomène avait 12 ans, son frère Alfred Léon 17 ans et son frère aîné Joseph Charles Albert 19 ans.





Elle ne fut pas appelée "Désirée"... 
Ses parents étaient cordonniers dans l'avenue de Flandres (les TOUPET étaient cordonniers depuis 1750). 

Le père, Charles Adolphe faisait des chaussures dont le bas était en cuir et la tige en feutre. Elles se fermaient avec une succession de petits boutons ronds. C'est son épouse Joséphine Octavie qui faisait les boutonnières et cousait les boutons.



Joséphine Octavie HUBERT


En plus de leur échoppe, il tenaient un café et une petite épicerie. À l'époque, pas de radio et de télé, on chantait facilement dans les cafés.
Mais chez les TOUPET, une affiche stipulait "Ici, on ne chante pas !", l'atmosphère n'était pas à la gaudriole...

Et voilà Berthe qui arrive en trouble-fête.

On la met en nourrice : pour cela, on fait appel à une femme de la Semoy, de Bohan en Belgique.
Elle vint la chercher la Berthe et l'emmena dans sa hotte (tout ce trajet à pied, environ 30 km aller et retour).

Je ne sais pas quand elle revint : peut-être avant ou pendant la guerre de 1870.


Berthe disait "vous" à ses parents mais n'était pas disciplinée. Elle allait à la maraude aux poires dans une propriété voisine.
À l'école, chez les soeurs, elle était punie pour ses pitreries. En pénitence dans une mansarde de l'école, elle passait par la fenêtre, se glissait sur le toit vers la fenêtre d'une autre mansarde où étaient des élèves qu'elle faisait rire au grand dam de la soeur.


Berthe eut beaucoup de peine lorsque sa soeur Marie Philomène mourut en 1875 de la typhoïde.


Venant de Thionville annexée, une famille de lorrains, les BAUDINET, qui avaient opté pour la France en 1872, s'installa dans le quartier.
C'était des entrepreneurs de monuments funéraires. Le nouveau cimetière se trouvait en haut du Faubourg de Flandres, donc très proche.

Une idylle naissait entre Berthe et Guillaume dit Jean BAUDINET. 
Ce dernier était tailleur de pierre; il avait été sculpteur au cimetière du père Lachaise où il gagnait 90 centimes de l'heure (dixit tante Georgette).

Il avait 13 ans de plus que Berthe et des idées socialistes avancées : le père de Berthe, Charles Adolphe, était décédé en 1886, sa mère Joséphine refusa cette union.

Pendant ce temps, les BAUDINET étaient partis s'installer à Longwy (même métier près du cimetière de Longwy-Haut).

Le 5 septembre 1891, Joséphine meurt.

Berthe ne perd pas de temps : elle fait vendre la maison qui après partage avec ses 2 frères reçoit 2983 F or. 
Elle part à Longwy-Haut où elle retrouve son Jean et se marie le 20 novembre 1891.





Ils auront 5 enfants : le premier mort-né, puis tante Georgette en 1894, Hélène (1896-1898), mon père Fernand en 1898 et oncle Léon en 1899.

À Noël 1899, Guillaume dit Jean attrape froid en sculptant des motifs sur une maison de maître des aciéries de Mont-Saint-Martin.

Il meurt le 24 juin 1900. Il a 46 ans, grand'mère n'a pas encore 32 ans.

Elle quitte Longwy-Haut et revient avec ses 3 enfants à Charleville où elle pense trouver du travail, car sa dot a fondu avec la maladie de son mari.
Elle s'adresse aux soeurs qui lui trouvent une place de femme de chambre mais à une condition : mettre ses enfants à l'orphelinat.

Elle refuse et se met laveuse. 
Elle gagnera 25 centimes de l'heure (5 sous). 
Elle ira laver dans les lavoirs municipaux de Charleville ou à domicile, mais le plus souvent dans le milieu religieux, chez les curés et les religieuses.





Lavoir de la rue Ambroise Croizat en faisant angle avec le chemin du Moulin du Cierge


De ce fait, ses garçons iront à l'École Saint-Rémi gratuitement tandis que tante Georgette ira très peu en classe (où ?), souffreteuse et ne voyant que très peu.


1914. C'est la guerre. Grand'mère et ses 3 enfants partent sur les routes de l'exode et, je ne sais comment, se retrouvent à Paris.
Grand'mère et tante Georgette sont embauchées chez "Aéroplane Farman".

https://fr.wikipedia.org/wiki/Avions_Farman




J'ai vu les feuilles de paye : en 1917, tante Georgette est payée 0,65 F de l'heure comme employée de bureau. En 1918, grand'mère Berthe touche 0,70 F de l'heure comme vérificatrice. 
Oncle Léon travaille aux Magasins Réunis, papa à l'usine Schneider comme tourneur. 
Mais en 1917, il part à la guerre car on lève la classe 1918, il a 19 ans.


La guerre finie, ils reviennent à Charleville où ils retrouveront leur maison rue des Charrons avec quelques meubles. (avant la guerre, ils avaient habité rue des Juifs maintenant rue H. Taine)
Dans cette rue détruite pendant la guerre 40, demeurait une tante TOUPET mercière.

Puis ils iront rue du Petit-Bois au 3e étage (que nous avons connu enfants).



Grand'mère était asthmatique et montait chez elle en soufflant à chaque étage, elle s'asseyait sur les marches pour reprendre sa respiration (ceci en fin de vie).

Elle éleva ses enfants d'un façon rigoureuse et 2 autres garçons : Jean et René MARCHAND. Leur mère travaillait, son mari l'ayant abandonnée... ces garçons deviendront prêtres.

Entre les deux guerres, Grand'mère continuera à être laveuse à domicile dans les maisons bourgeoises ou chez des commerçants (ISNARD, Melle JOSEPH Bd Gambetta, les JOSEPH rue du Moulin, les MOREAU marchands de charbon, etc...).

Elle alla se faire photographier en tenue de laveuse (NDR : première photo de ce billet) pour qu'on ait un souvenir d'elle telle qu'on la connaissait (au grand émoi du photographe TELLENE qui était un spécialiste des événements plus sélect : communions, mariages).

Elle avait la foi du charbonnier. 
À Noël, elle m'emmenait voir les crèches des églises de Charleville (Notre-Dame, le Sacré-Coeur, la Chapelle de l'hôpital et le baraquement qui fut remplacé par l'église Jeanne d'Arc).

Le 13 juin, j'ai le souvenir d'avoir été avec elle en pèlerinage à Hauts-Buttés.

On partait le matin, Charleville-Château Renault en train, puis à pied. De là, nous montions vers le village de Hauts-Buttés où l'on fêtait St Antoine de Padoue en passant par Laval-Dieu, les Woieries, au moins 15 km aller...



Église Saint Antoine de Padoue à Hauts-Buttés



Je l'ai toujours connue sans dents, un visage tout ridé, des mains aux doigts noueux, sans lunettes, des cheveux gris bien tirés avec un petit chignon.

Elle était vêtue d'une grande jupe gris foncé, un caraco, un tablier à petits carreaux bleus, aux pieds des feutres avec des caoutchoucs. Le dimanche, un grand manteau noir sur une robe noire, un chapeau haut et rond.
Ce jour-là, elle mettait des chaussures sans talons (genre ballerines) que Monsieur HUARD lui faisait car elle avait les pieds tout déformés.

Grand'mère était sévère mais avait un coeur d'or et donnait ce qu'elle avait.

Par exemple : "Grand'mère et tante Georgette (avec qui elle demeurait) faisaient leur 'gougette' (des économies) dans une tirelire pour aller à Lourdes. Un jour, tante Georgette trouve la tirelire vide. Explications : les voisins, les MOREAU, marchands de charbons, avaient besoin d'un cheval, grand'mère les avait aidés."



Elle aimait rire et faire rire. La veille de la communion de ma soeur Michelle, je l'entends dire à maman : "Ne me mets pas à côté de Georgette, que je puisse chanter ce que je veux".
Et le lendemain, elle chanta "Fais-moi zizi-panpan", chanson à double sens, ce qui était courant à cette époque.



Maman racontait qu'au lendemain de son mariage avec Papa (On faisait un repas après la messe du dimanche où toute la notice assistait), on vit arriver un gars avec une casquette sur l'oreille, un foulard autour du cou, un mégot pendant aux lèvres. 
Maman et Papa demandèrent aux invités qui était cet individu. Personne (même pas ses enfants) n'avait reconnu Man Berthe.





Mariage de Fernand BAUDINET et Germaine HUT



Elle aimait rire, mais il ne fallait pas lui manquer de respect. 
Un client qui venait rechercher son linge (elle lavait et repassait) et qui lui faisait des avances, fut envoyé manu-militari dans les escaliers où il déboula jusqu'à l'étage inférieur.

C'était une femme courageuse et digne : elle éleva ses enfants sans l'aide de sa famille TOUPET (ses cousines germaines étaient mariées l'une à un docteur, l'autre à un chirurgien dentiste).

Elle aura 3 congestions pulmonaires... La troisième l'emportera en février 1951.

Grand-mère Berthe était forte physiquement et mentalement, sans détours, simple et très croyante...

C'était la "Grande Berthe".




Fernand, Léon et Georgette

7 commentaires:

  1. Touchant, merci de ce partage Fabien

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  2. Très beau récit, la vie comme ma grand-mère maternelle 1901-1985(la seule que j'ai connue) en parlait sauf que chez nous c'était les fonds de la campagne Deux-Sèvriène.

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  3. Je viens de lire d'une traite ces récents billets, ces témoignages directs sont des trésors. Beaucoup d'émotion ressentie. Merci du partage.

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  4. Je viens de lire d'une traite ces récents billets, ces témoignages directs sont des trésors. Beaucoup d'émotion ressentie. Merci du partage.

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  5. Bonsoir Fabien, Ce soir j'ai eu de la lecture ! Et oui.... à la Télé que des navets !!
    Superbe histoire et Berthe la grande courageuse
    Je suis "en rage" contre le second époux de ma grand-mère maternelle qui a détruit, au décès de cette dernière, tous les papiers de familles qu'Elle détenait et qu'Elle m'avait toujours dit qu'Ils me seront remis lorsque je serais adulte.
    J'ai eu mes enfants et n'avait pas trop de temps disponible pour m'y intéressais, mais Mémé me rassurait me confirmant ce qui a été dit précédemment. A ses funérailles, je suis restée quelques jours et ai réclamé mais le Nenes m'a répondu trop tard je m'en suis débarrassé !!!... Quel fut mon chagrin et l'ai toujours sur mon coeur
    Excellent week-end Fabien et a une autre fois sur diverses pages FB - Merci pour tous ces partages qui valent de l'Or !!

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